C'est la question que je me pose ce mois-ci. Dans ce premier numéro, on parle haka, boxe et capoeira, toujours en rythme.
Chers lecteurs et lectrices,
Je suis Clara, journaliste et passionnée de danse. Je suis ravie de vous écrire le premier numéro de ma newsletter consacrée à la danse dans la vie de tous les jours. L’objectif est de réfléchir à la façon dont la danse est une pratique partagée par tous, qui s’intègre dans notre vie quotidienne, en soirée ou devant son miroir sur ses sons préférés. Ce mois-ci, on démarre avec un thème d’actualité : s’affronter en rythme.
👊 Vendredi dernier, j’étais, comme vous peut-être, les yeux rivés sur un écran qui diffusait le match de la Coupe du monde de rugby. Et le spectacle a commencé avant même le coup d’envoi, avec le fameux haka néo-zélandais. Dans la fanzone autour de moi, les supporters étaient stoïques, suspendus à ce moment. Sur l’écran, les visages des joueurs français, bras dessous bras dessus, ne laissaient rien paraître. Oui, la danse peut faire peur, et les All-Blacks le montrent mieux que quiconque.
Haka, ça veut dire danse, en maori. En fait, le terme englobe toute une série de danses traditionnelles qui peuvent être exécutées pour exprimer la joie, la colère, et même avoir une connotation sexuelle. Mais le « Ka Mate ! » exécuté par le XV de Nouvelle-Zélande, c’est plutôt une danse guerrière, qui a pour objectif d’intimider les adversaires. Et ça existe dans toutes les cultures du Pacifique Sud.
Les Fidji, les Samoa, et les Tonga par exemple, exécutent aussi une forme de haka avant de s’élancer sur la pelouse. Si vous suivez la Coupe du monde, vous risquez donc de voir d’autres rugbymen danser. Ensuite, selon la Première, les danses guerrières sont très répandues dans la région du Pacifique Sud, avec par exemple le kailao à Wallis-et-Futuna, ou la danse bois de Lifou.
Ma réponse n’engage que moi, à partir de ce que je sais, non pas de la bagarre, mais de la danse. Au-delà de l’aspect intimidant, effrayant d’un homme qui fait les yeux exorbités, tire la langue et rentre dans une espèce de transe, il y a une unité qui se créé au sein du groupe qui effectue ce rituel. Quand on danse ensemble, sur le même rythme, de manière coordonnée, on se sent en osmose avec ses partenaires, et donc prêts à se battre pour la même cause. On forme une même image, un même son.
L’autre raison que j’ai identifiée tient justement à l’aspect rituel. Amateurs de tennis, vous savez que Raphaël Nadal n’entame jamais un match sans avoir placé ses bouteilles d’une façon particulière sur le court. Le haka, c’est un peu pareil. Il y a presque quelque chose de l’ordre du spirituel, ou de la superstition. Cet article de National Geographic explique d’ailleurs que les rituels pourraient servir à l’origine à unifier les groupes culturels lors de catastrophes ou d’évènements menaçants. Le caractère certain des rites a quelque chose de rassurant.
Il existe d’autres sports dans lesquels il y a des rituels dansés avant l’affrontement. Les équipes néo-zélandaises ont adopté le haka dans d’autres sports collectifs, comme le basketball. Avant les combats de Muay thaï, une pratique de boxe thaïlandaise, les adversaires effectuent aussi une danse appelée le Ram Muay, qui, comme le reste des combats, est accompagné d’un orchestre de musique traditionnelle. Ram signifie d’ailleurs danse. Selon l’Académie française de Muay Thaï, le Ram Muay « est assimilable à une « danse » qui par son symbolisme fait appel à une ou plusieurs figures légendaires particulières. »
Bien entendu, relier danse et combat fait émerger une autre question : celle du genre. Si dans l’imaginaire occidental, la danse est souvent associée au genre féminin, on voit ici que certaines pratiques de danse sont au contraire davantage réservées au masculin, car liées à la force physique et à l’affrontement. Mais bonne nouvelle, les joueuses de rugby néo-zélandaises pratiquent elles aussi un haka, avant chaque match.
Danse, combat et rite. Il ne semble y avoir qu’un pas entre ces pratiques. Toutes régissent les sociétés humaines, et appellent à une forme d’unité au sein des peuples. Danser avant de combattre, pour effrayer ses adversaires, oui, mais aussi pour être unis avec ses camarades, pour se rassurer, et pour rentrer dans la bataille, se préparer à l’affrontement, voire convoquer des divinités censées vous porter chance. Superstition ? A vous de juger. Et puis, à en croire le résultat du match France Nouvelle-Zélande, rituel ne veut pas dire victoire.
Nicolas Godart, 24 ans, alias Estilo, pratique la capoeira depuis qu’il est tout petit à Strasbourg. Aujourd’hui, il enseigne et continue de se former à cette discipline, à la croisée des genres, qu’il aborde avant tout comme un art. Entretien.
Pourquoi dit-on parfois que la capoeira est un mélange de danse et d’art martial ?
Pour moi, ça vient de son histoire. C’est une pratique créée au Brésil par les esclaves. A l’époque, cet art était criminel, les esclaves s’entraînaient vraiment à combattre. Mais dès que les autorités arrivaient, ils changeaient un peu leur façon de faire, pour que ça ne ressemble plus à un combat, mais davantage à une danse. Une des particularités qui la rapproche aussi de la danse, et qu’on ne retrouve pas dans les autres arts martiaux, c’est le volet musical. La capoeira se pratique sur les instruments qui existaient à l’époque dans les champs au Brésil, où les esclaves étaient souvent originaires de différentes tribus africaines. Dire que c’est une danse permet aussi d’attirer un public plus large. En fait, on peut avoir l’impression que c’est chorégraphié, alors que pas du tout.
Nicolas Godart pratique la capoeira depuis 20 ans.
Pour autant la capoeira est-elle un sport de combat comme les autres ?
Non, la capoeira ce n’est pas un combat, c’est un jeu. Il n’y a pas de vainqueur et de vaincu. L’idée c’est de jouer avant tout, de jouer avec l’autre, et peut-être même de se jouer de l’autre. Mais il n’y a pas de recherche de performance. On va s’adapter à son partenaire car l’objectif est de créer une conversation. C’est d’ailleurs la seule discipline martiale dans laquelle il n’y a pas de catégorie de poids et de sexe. Et on a justement l’habitude de dire que ça s’adapte à tout public, quelles que soient ses prédisposions physiques ou son âge.
Qu’est-ce qui vous plait tant dans la discipline ?
C’est un art complet. Petit, j’aimais bien la musique, j’ai été au Conservatoire plus tard. Et j’aimais bien les acrobaties. Finalement j’ai grandi avec la capoeira. Avec le temps, j’ai appris le portugais, parce que tous les mots qu’on utilise sont en portugais, les chansons aussi. J’ai appris à jouer des instruments, à connaître l’histoire de la discipline. Maintenant je peux enseigner, tout en continuant de pratiquer. Il faut au moins 30 ans pour devenir maître.
Ici, on va quand même un peu parler de danse académique. L’objectif de cette rubrique n’est pas de vous proposer une liste exhaustive, mais de vous faire découvrir quelques références et mes coups de coeur.
Parce qu’au travers de la danse, on peut aussi mimer le combat, représenter la violence et le choc des corps. Je pense à un tableau dans le ballet Blanche-Neige, du célèbre chorégraphe contemporain Angelin Prejlocaj. On y voit la sorcière obliger Blanche-Neige à manger la pomme empoisonnée, dans une scène de violente soumission corporelle.
Explicite aussi, la pièce Boxe Boxe de Mourad Merzouki, éminent danseur et chorégraphe hip-hop et contemporain. Voici un entretien dans lequel il explique pourquoi mêler boxe et danse faisait sens pour lui. Et puis, une émission de France Culture qui raconte le duel dansé, et le corps-à-corps.
Après bien sûr, la battle de danse, c’est aussi le hip-hop, le breakdance… et puis celle que vous faîtes peut-être en soirée, tous en cercle, en poussant vos potes se ridiculiser au centre.
Alors que ce soit pour donner des coups de poing dans le vide, ou effrayer vos amis en boîte, n’oubliez pas de danser.🕺 Et de partager cette newsletter autour de vous.
A bientôt,
Clara 👯